lundi 7 juillet 2014

Chronophage.

     
J’arrive. Le temps de passer chez moi me changer, nourrir les chats et le chien, et de me laver. Le temps de courir après mon train, longtemps en avance sur son retard. Le temps de moudre le café et de le passer dans le passé. Le temps de vivre vite-fait, et j’arrive.

     La vie semble être devenue une course de voitures. Nous sommes supposés nous frayer un chemin d’entrechats entre les contretemps, les temps morts et les temps d’antenne. Chronométrés depuis notre naissance, de jeunes parents s’inquiètent bien souvent que leur enfant ne parle pas dès sa quatrième semaine de vie. Ensuite vient l’étape de la marche, quel drame si le bout ’chou de la voisine esquisse ses premiers pas alors que votre bambin se tient toujours sur quatre points d’appui. Et bientôt démarre l’engrenage millimétré de l’éducation scolaire. Des programmes à suivre, une échelle à respecter, ne pas dépasser la norme, mais ne pas la louper. Et ce jusqu’à l’offre d’emploi, si la personne a respecté les codes imposés. Sinon, sa vie est un échec. Ensuite il s’agit de travailler plus qu’on ne s’amuse, se fixer des interdits durant son temps libre afin de ne pas perturber les jours de travail acharné et ainsi conserver son boulot précieux. Si bien que lorsqu’une personne est en congés, ses premiers jours sont souvent marqués par un réveil très matinal, tant son organisme est drillé par la cadence du travail. Enfin, une fois la pension atteinte, si aucun cancer ou accident n’a mis fin au temps imparti, nous avons tout le temps de nous amuser et d’accomplir nos rêves. Malheureusement, cette fois, c’est souvent l’énergie et les finances qui font défaut durant cette période de la vie. Le temps, c’est de l’argent.

     Notre société actuelle offre tout son temps à la chronophagie. Les grands de ce monde ne cessent de nous proposer de nouvelles petites merveilles technologiques, de grandes idées et de petits gadgets sensés nous faire gagner du temps. Il en va de même pour les réseaux sociaux nous promettant une connexion aux gens qui comptent sans limite, qui, au fond, ne font que nous hyperconnecter. Il y a peu, après avoir déploré auprès d’une amie résidant à quelques dizaines de kilomètres de chez moi le peu de temps que j’avais à lui consacrer pour une rencontre, j’ai réalisé que les minutes passées sur mon téléphone ou sur Facebook, si elles étaient mises côte à côte pouvaient très vite se transformer en heures que j’aurais pu passer à boire des verres en sa compagnie.

     C’est pourquoi j’ai envie de me déconnecter de ce temps passé face à l’écran, pour revenir au réel, aux vrais moments de beauté, de joie, de souvenirs. Pourquoi partager chaque moment de sa vie ? On ne vit alors notre vie qu’à moitié. Certains me taxeront d’hypocrisie, or, ce discours n’est pas une critique des autres. Je fais partie de cette génération, de cette masse d’hyperconnectés. Mais ce constat m’attriste : nous tendons sans cesse vers le chronophage.


     J’arrive, le temps d’éditer mon statut. Le temps de plier bagages, de fermer la porte et de courir à la gare. D'éviter les perles de pluie et de courir vers toi, et j’arrive. Le temps de vivre ma vie, d'attendre la mort, et de m'ennuyer vite, j'arrive. 

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